C’est une phrase que j’ai souvent murmurée en séance, autant à mes clientes qu’à moi-même : “Laisse-la partir.” Cette femme blessée, cette part de soi accrochée au passé, à une histoire non digérée, à une injustice restée sans réponse, à un amour perdu… Cette marée de souvenirs émotionnels non exprimés, qu’on porte en silence dans le corps, jour après jour.
Lâcher prise, ce n’est pas oublier. Ce n’est pas cautionner ce qu’on a vécu. Ce n’est pas minimiser. C’est libérer l’espace en soi pour que la vie puisse, enfin, de nouveau y circuler. Alors aujourd’hui, je veux vous parler en toute simplicité de ce processus : comment on identifie ce qu’on retient, pourquoi on s’y accroche, et surtout, comment on peut enfin transmuter plutôt que survivre.
Pourquoi est-ce si difficile de lâcher prise ?
Quand une blessure émotionnelle s’ancre – un rejet, une trahison, un abandon – elle devient une loyauté interne. Une alliance inconsciente. Comme si une part de nous disait : “Je ne lâcherai pas cette colère, cette douleur ou cette injustice tant qu’elle n’aura pas été reconnue.”
C’est humain. On a besoin que ce qu’on ressent soit validé. Alors on reste en tension, parfois des années, à rouvrir une plaie en espérant, inconsciemment, qu’un jour quelqu’un (ou quelque chose) réparera pour de bon.
Mais voilà le vrai piège : tant qu’on attend cette réparation extérieure, on empêche notre système nerveux de se réguler et notre cœur de se réparer. L’énergie ne circule pas. L’identité reste figée. C’est un peu comme garder une pièce fermée dans sa maison en se disant : “Je m’en occuperai quand quelqu’un viendra faire le ménage à ma place.”
Observer l’attachement à la douleur : un réflexe neurologique
Oui, il y a une forme de loyauté émotionnelle. Mais il y a aussi, et surtout, une trace corporelle. Le cerveau limbique, siège de nos émotions, fonctionne par association. Une blessure vécue intensément va créer une empreinte neuronale durable, surtout si elle reste non résolue. Ce qui veut dire :
- On se méfie des situations qui rappellent le trauma, même vaguement.
- On agira souvent par anticipation (« je préfère fuir avant d’être abandonné·e à nouveau »).
- On rejoue, inconsciemment, des schémas similaires, comme pour “réparer”.
Autrement dit : on est littéralement programmé·e pour retenir… jusqu’à ce qu’on se donne la permission consciente de relâcher.
Un cas de séance : Camille et la colère déguisée
Camille, 36 ans, arrive en consultation après une rupture amoureuse douloureuse. “Je sais qu’il était toxique, mais je ne parviens pas à tourner la page. Dès que j’essaie d’avancer, j’ai comme un nœud dans la gorge.”
En déroulant ensemble les couches, on découvre que sa difficulté n’est pas tant de “l’oublier” que de reconnaître une vérité plus profonde : elle s’était tue pendant des années. Elle avait encaissé, minimisé, rationalisé. Et aujourd’hui, laisser partir cet homme, c’était aussi admettre qu’elle s’était trahie elle-même.
Ce n’est pas lui qu’elle retenait. C’était la colère enfouie, l’impression d’avoir été naïve, de ne pas s’être écoutée. Tant que cette émotion restait bloquée, son système croyait qu’il était “dangereux” de passer à autre chose.
Camille a pu mettre en mots cette colère, la vivre aussi dans le corps. Par l’écriture, la danse intuitive, un travail somatique autour de la gorge. À mesure que cette charge émotionnelle a pu être reconnue – non par l’autre, mais par elle – le lien s’est désactivé. Naturellement. Sans forcing.
Trois piliers pour lâcher vraiment
Lâcher prise, ce n’est pas une injonction mentale (“Allez, faut tourner la page !”). C’est un processus subtil, presque organique. Voici, selon mon expérience, les trois piliers incontournables pour que ça fonctionne :
1. Sécuriser le corps pour l’autoriser à relâcher
Le système nerveux ne peut pas “lâcher” s’il est en alerte. Ce que ça implique concrètement :
- Revenir régulièrement à la respiration consciente, abdominale.
- Se créer un espace sécurisant : bougies, musique douce, senteurs familières.
- Pratiquer l’ancrage corporel : automassages, marche pieds nus, bercements.
Ce n’est pas du self-care “girly”, c’est de la régulation profonde. Et c’est la base de tout.
2. Valider l’émotion qui n’a pas été exprimée
L’émotion bloquée est souvent celle qu’on a refusé de ressentir sur le moment.
- La tristesse qu’on a jugée “trop” ou “faible”.
- La colère qu’on a crue “dangereuse” ou “hystérique”.
- La peur qu’on a bannie pour rester forte.
Se donner cet espace, seul ou accompagné·e, pour accueillir enfin ce qui a été refoulé, est une clé majeure. On peut le faire via l’écriture intuitive, les constellations familiales, une thérapie corporelle, ou simplement en laissant le corps bouger librement (en sécurité).
3. Défaire les croyances associées
“Si je lâche, je vais oublier. Et si j’oublie, c’est comme si ça n’avait pas compté.”
Ce type de croyance est fréquent. On associe le souvenir avec la fidélité. Mais attention : on peut honorer une mémoire sans rester figé·e dedans. Ce n’est pas tourner le dos, c’est assumer pleinement ce qu’on en a tiré.
Changer de posture intérieure, c’est aussi ça : retirer aux blessures révolues le pouvoir qu’elles ont encore sur notre présent.
Comment savoir si on a vraiment lâché prise ?
Quelques indicateurs que le travail fait son chemin :
- Votre corps respire mieux au souvenir de cet événement ou de cette personne.
- Vous n’attendez plus de réparation, ni d’excuses, ni de “message surprise”.
- Vous ne vous identifiez plus à cette douleur : elle fait partie de vous, mais elle ne vous définit plus.
- Vous arrivez à ressentir de la gratitude pour ce que cela vous a appris, même si vous ne cautionnez pas ce qui s’est passé.
C’est subtil, mais c’est palpable. Un relâchement interne. Un “clic” qu’on ressent plus qu’on ne l’analyse.
Quand ça résiste : la nécessité de l’accompagnement
Parfois, malgré toute la bonne volonté du monde, ça bloque. On comprend tout intellectuellement, mais émotionnellement… rien ne bouge.
C’est là que l’accompagnement prend tout son sens. Parce qu’on n’a pas été blessé seul·e. Et qu’on ne guérit pas toujours seul·e non plus. Le regard bienveillant, la capacité d’un·e thérapeute à voir au-delà du mental, à tenir l’espace de la douleur sans jugement, c’est souvent la clef pour franchir un vrai cap.
Et non, ce n’est pas un aveu de faiblesse. C’est une preuve d’engagement envers soi-même.
Un rituel simple pour dire “au revoir”
Je vous propose un petit rituel concret, que beaucoup de mes clientes ont trouvé libérateur :
- Asseyez-vous dans un endroit calme, avec une bougie et un carnet.
- Écrivez une lettre à cette part de vous qui retient : la femme trahie, la jeune fille abandonnée, la compagne oubliée… parlez-lui avec honnêteté, tendresse et courage.
- Lisez-la à voix haute. Puis, brûlez la lettre en conscience, en affirmant à haute voix : “Je t’honore. Je te remercie. Et je choisis maintenant de te laisser partir.”
- Restez en silence quelques minutes. Observez ce qui monte. Respirez dedans. Laissez l’émotion sortir, s’il y en a.
Ce petit rituel ne “règle” pas tout. Mais il envoie un signal clair à votre inconscient : un cycle s’achève. Vous reprenez le pouvoir.
Et maintenant : quelle version de toi veux-tu nourrir ?
Lâcher prise, ce n’est pas abandonner. C’est consentir à redevenir vivante.
Et ça, c’est un choix radical, courageux, puissant.
Alors je te laisse avec cette question : quelle part de toi mérite aujourd’hui d’être libérée ? Pour quelle version de toi es-tu prête à faire de la place ?
Rappelle-toi : ta blessure n’est pas une fin. C’est un passage. Et tu n’es pas seule à le traverser.
Avec tendresse et lucidité,
Christina